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ÉTUDES MAÇONNIQUES - MASONIC PAPERS

by W.Bro. ALAIN BERNHEIM 33°

HISTORIENS DE L’ÉCOLE AUTHENTIQUE

De nombreux historiens de la Franc-Maçonnerie ont tendance à mélanger la réalité avec la fiction et à s’adonner au romantisme. Au lieu de baser leurs écrits sur les sources primaires manuscrites, ils se livrent à la compilation des ouvrages de leurs prédécesseurs en ne prenant que rarement la peine de mentionner leurs emprunts. Une minorité d’historiens appartenant à l’école authentique suit une voie différente. [i]

 

Allemagne

Les historiens allemands furent les premiers à mettre en application les principes de l’école authentique. Les trois volumes d’une excellente Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, rédigée par Lenning (pseudonyme de Hesse, libraire allemand qui habitait Paris) et Friedrich Mossdorf (1757-1843), furent publiés entre 1823 et 1828.[ii]

Le Dr Georg Kloss (1787-1854) compila la première Bibliographie de la Franc-Maçonnerie (1844), puis écrivit une Histoire de la Franc-Maçonnerie en Angleterre, en Écosse et en Irlande (1848) et une Histoire de la Franc-Maçonnerie en France en deux volumes (1852-1853) dont la lecture se révèle aujourd’hui encore fort instructive.[iii]

Le Dr Wilhelm Begemann (1843-1914) fut probablement le meilleur historien de la Franc-Maçonnerie de son temps. La trilogie Préhistoire et Débuts de la Franc-Maçonnerie en Angleterre (2 vol., 1909-1910), en Irlande (1911), en Écosse (1914) constitua son oeuvre maîtresse à laquelle on doit ajouter plusieurs brochures telles que Les Templiers et la Franc-Maçonnerie (1906) et Le Rite Écossais Ancien et Accepté et Frédéric le Grand (1913). Il fut également l’auteur de ‘Von Hund’s Masonic Career’, publié en 1913 dans le volume 25 d’AQC, et de nombreuses contributions à la Zirkelkorrespondenz, organe mensuel de la Grosse Landesloge der Freimaurer von Deutschland.

La meilleure bibliographie de la Franc-Maçonnerie, publiée en 1911-1913, fut également l’œuvre d’un historien allemand, le Dr. August Wolfstieg (1859-1922).

 

Amérique du Nord

En tant que Français, je regrette que les écrits de Robert Folger (1803-1892), Josiah H. Drummond, T. S. Parvin, Charles T. McClenachan, Enoch T. Carson, J. Hugo Tatsch, Charles S. Lobingier, Samuel Harrison Baynard et Ray Baker Harris soient si peu connus en Europe.

L’importance des articles que Robert J. Meekren, un Anglais vivant au Canada, publia dans la revue Ars Quatuor Coronatorum est loin d’être reconnue comme elle le mérite. Les écrits historiques d’Albert Pike et ses transcriptions de documents historiques essentiels, dispersés dans les Transactions et les Official Bulletins de la Juridiction Sud, sont regrettablement méconnus aujourd’hui, même en Amérique.

 

Îles britanniques

Des Frères anglais créèrent la première loge exclusivement consacrée à la recherche maçonnique, Quatuor Coronati No 2076, dont la patente est datée du 28 novembre 1884. Ses travaux sont publiés depuis 1888 dans la revue Ars Quatuor Coronatorum. Ces Frères ont effectué un bon travail si l’on songe aux écrits de leurs prédécesseurs, William Preston et le  Dr Oliver, qui étaient aussi imaginatifs que les historiens français de leur époque.

Il n’est pas sans intérêt de citer le récent jugement de John Hamill à l’égard de ces précurseurs :

Les fondateurs de la Loge [Quatuor Coronati] forgèrent l’expression ‘école authentique ou scientifique’ de recherche maçonnique, ce qui incite, un siècle plus tard, à se demander s’ils mirent leurs propres principes en application. Si leur avidité à rechercher des preuves amène à répondre positivement, par contre, en ce qui concerne l’utilisation qu’ils en firent, particulièrement quant aux origines de la Franc-Maçonnerie, la réponse ne peut être qu’infiniment plus nuancée. Après avoir examiné et considéré insuffisantes bon nombre de théories fantaisistes à cet égard, ils les rejetèrent et firent de même à l’égard des éléments fournis par Anderson. Mais ils n’examinèrent pas l’hypothèse de base d’Anderson, pour qui la Franc-Maçonnerie descendait directement de la maçonnerie opérative. Ils semblent avoir tacitement adopté cette hypothèse et, tels Darwin, consacrèrent un temps considérable à rechercher les chaînons manquants entre la maçonnerie opérative et les documents touchant à la maçonnerie non-opérative qu'ils exhumaient. Ils se comportèrent ainsi d'une manière fort peu scientifique, car ils s’efforçaient de trouver des témoignages susceptibles d'étayer leur théorie au lieu d’analyser les éléments qu’ils découvraient et de voir ce que l'on pouvait en déduire.[iv]

Toutefois, l’école anglaise est loin d’être aussi homogène qu’un observateur extérieur pourrait le supposer :

Nos divergences avec l’école authentique ne portent pas seulement sur l’étendue du domaine de l’histoire maçonnique mais également sur la manière de la prendre en considération. Aujourd’hui, les chercheurs ont tendance à utiliser simultanément les méthodes analytiques et comparatives, alors que l’école authentique adoptait essentiellement des méthodes descriptives et tendait à considérer l’évolution maçonnique dans chaque pays comme un phénomène isolé.[v]

Cette dernière remarque de Knoop et Jones semble justifiée. La méthode qui consistait - et qui consiste encore - à considérer l’histoire de la Maçonnerie dans chaque pays de manière isolée est probablement à l’origine de la plupart des difficultés inextricables rencontrées dans l’étude de la Franc-Maçonnerie, particulièrement en ce qui concerne les “hauts” grades.

 

Le cas Sitwell

Norman Sisson Hurt Sitwell (1876-1931) ne peut pas être classé sous un pays déterminé. Cet Irlandais, né à Dublin et mort à Arcachon, fonda en 1925 Saint Claudius No 21, première loge de recherche française, au sein de la GLNI&R. Travaillant en français et en anglais, Saint Claudius publia de 1926 à 1937 dix précieux petits volumes de Compte-rendus aujourd’hui presque introuvables. La découverte par Sitwell des archives de L’Anglaise de Bordeaux, le fait qu’il en reconnut immédiatement l’importance et en publia des extraits, constitua l’un des événements majeurs de l’histoire de la Franc-Maçonnerie et de celle des grades Écossais au XXe siècle.[vi]

 

France

Au cours du XIXe siècle, peu d’historiens, sauf Achille Godefroy Jouaust (1825-1889) ou Emanuel Rebold (?-1893), méritent que leurs noms soient mentionnés à côté de celui de Jean-Émile Daruty (1839-1903). L’honnêteté de ce dernier, sa précision et sa recherche systématique de la première apparition d’éléments historiques douteux ou inexacts, font de son livre au titre involontairement inapproprié, Recherches sur le Rite Écossais Ancien Accepté (1879-1880), une exception dans son pays natal.[vii] Le principal titre de gloire de Thory (1759-1827) consiste, somme toute, à avoir été le premier Français d’une lignée d’historiens romantiques de la Franc-Maçonnerie, car ses Acta Latomorum publiés en 1815 sont à l’origine de la plupart des légendes qui empoisonnent aujourd’hui encore l’histoire maçonnique.

Deux historiens français de la première moitié du XXe siècle méritent d’être cités. Albert Lantoine (1869-1949), bibliothécaire de la GLDF, écrivit de nombreux livres, dont une très utile Histoire de la Franc-Maçonnerie française en trois volumes (le deuxième est consacré à l’histoire du Rite Ecossais en France) publiés entre 1928 et 1935. Arthur Groussier (1863-1957), à plusieurs reprises Grand Maître du GODF, fut l’auteur entre 1928 et 1934 d’une série de publications, Documents pour servir à l’Histoire du GODF, dans lesquelles il transcrivit avec soin de nombreuses pièces d’archives alors en possession de son obédience.

 

Cinq Historiens De L’école Française Authentique

Voici maintenant le portrait de cinq membres de l’école française authentique moderne. Les deux premiers, Pierre Chevallier et Alain Le Bihan, ne sont pas Maçons. Les trois autres furent, chacun dans son domaine, d’éminents membres de l’Ordre. Leur caractéristique commune fut de fonder leurs écrits respectifs sur des documents d’archives.

Quelle était la situation des archives maçonniques à la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Confisquées par les nazis, les archives du GODF demeurèrent jusqu’à la fin de la guerre entreposées à la Bibliothèque nationale. Par un accord conclu le 14 septembre 1944, le GODF faisait don à celle-ci de ses archives antérieures au 15 décembre 1851.

Leur classification, accomplie par des archivistes professionnels tels que M. Roger Lecotté et Madame de Lussy, demanda près de vingt ans. Il en résulta le Fonds Maçonnique de la Bibliothèque nationale dont l’existence constitua une aide inestimable pour les historiens. Ce Fonds comprend principalement des documents concernant le GODF, ce qui explique pourquoi on n’y trouve que peu d’archives provenant des Mères-Loges provinciales.

Si les archives de la Mère-Loge de Lyon sont actuellement répertoriées à la bibliothèque municipale de cette ville, la plupart des archives de L’Anglaise de Bordeaux se trouvent aujourd’hui, sous le nom de Documents Sharp, à Lexington (Mass.) dans la bibliothèque du Suprême Conseil des États-Unis, juridiction Nord. J’ai retracé leur odyssée dans un article paru il y a une dizaine d’années.[viii]

 

Pierre Chevallier et Alain Le Bihan

 

Pierre Chevallier (1913-1998) commença par écrire deux livres consacrés aux premières années de la Franc-Maçonnerie en France, Les Ducs sous l’Acacia ou Les premiers pas de la Franc-Maçonnerie française 1725-1743 (1964) et La première Profanation du Temple Maçonnique ou Louis XV et la Fraternité 1737-1755 (1968).[ix] Il consacra ensuite sept ans à rédiger les trois volumes (1725-1799, 1800-1877, 1877-1944) de son Histoire de la Franc-Maçonnerie française, vaste fresque d’une grande exactitude, publiée en 1974-1975, dont le dernier volume comprend un index général. [x]

 

Né le 21 juin 1916, Alain Le Bihan publia entre 1966 et 1973 trois livres qui résument les résultats de sa seule recherche personnelle et constituent un guide très utile pour explorer le Fonds Maçonnique de la Bibliothèque nationale. Le premier énumère les noms des membres du GODF à la fin du XVIIIe siècle, accompagnés de brèves indications biographiques et du nom des loges auxquelles chacun appartenait. Le second comprend une liste commentée des Loges et Chapitres, en France et outre-mer, relevant d’une obédience française pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le troisième réunit quatre études distinctes concernant la GLDF de 1760 à 1773, le Chevalier de Beauchaîne, le Chapitre de Rose-Croix créé à Paris en juin 1769 et les dernières années d’existence de la GLDF (1789-1799) avant sa réunion avec le GODF. Ces quatre études précèdent une liste exhaustive des Maîtres des Loges parisiennes au cours du XVIIIe siècle, chaque nom étant accompagné d’une copieuse notice biographique. Le livre se termine par la transcription de plusieurs documents maçonniques peu connus.

Alain Le Bihan est également l’auteur de ‘Les Premiers Pas (1725-1771)’, premier chapitre d’un ouvrage collectif publié en 1981, Histoire de la Franc-Maçonnerie en France, chapitre qui constitue l’une des très rare synthèses dignes de foi des premières années de la Franc-Maçonnerie française.

 

    Marius Lepage, Étienne Gout, René Guilly

 

Marius Lepage (1902-1972) fut initié le 24 janvier 1926 dans une loge du GODF. Il s’affilia le 22 juin 1963 à la GLNF.[xi] Dans L’ORDRE et les Obédiences (1956), l’un des meilleurs livres jamais écrits par un Français sur la Franc-Maçonnerie, il révéla l’importance de la revue Ars Quatuor Coronatorum et de l’école anglaise authentique aux Maçons français qui en ignoraient alors presque tout. Ce livre bref (137 pages) dit l’essentiel et trace un excellent panorama de la spécificité de la Franc-Maçonnerie française. Il fut malheureusement rédigé avant que de récentes recherches aient profondément modifié notre connaissance de l’histoire du XVIIIe siècle, ce qui explique, par exemple, pourquoi l’auteur considérerait comme réelle la mythique “Grande Loge Anglaise de France” dont l’invention remonte à Thory. De 1956 à 1968, Lepage dirigea la revue Le Symbolisme qu’Oswald Wirth avait fondée en octobre 1912 et y écrivit de nombreux articles. Notre longue correspondance commença en 1964, mais je n’ai jamais eu la joie de le rencontrer personnellement.

 

Etienne Gout (1908-1990) personnifiait la modestie, l’érudition et la gentillesse. Toute sa vie maçonnique s’écoula au sein de la GLDF. Il fut initié le 23 octobre 1936 dans la Loge Le Portique à Paris. En 1976, il devint membre actif et Grand Chancelier du SCDF.

Entre 1970 et 1986, il publia une demi-douzaine d’études, brèves, denses et importantes. Quelques autres furent découvertes après son décès et sont en cours de publication dans la revue du SCDF, Ordo ab Chao. Chacun de ses écrits est marqué par le bon sens, la précision, la logique et la compétence. Il possédait une connaissance exceptionnelle des archives maçonniques de la Bibliothèque nationale, qu’il avait commencé d’étudier bien avant la publication des ouvrages de Le Bihan. Gout était aussi l’un des rares Maçons français connaissant à fond les auteurs maçonniques américains classiques. Notre correspondance commença en 1974. Ses lettres étaient si longues, si détaillées et  pleines d’informations que je dus en établir un index. J’eus la joie de le faire rencontrer René Guilly.

 

René Guilly (1921-1992) fut un exceptionnel historien de la Franc-Maçonnerie. Il signait ses articles du pseudonyme René Désaguliers ou de son nom d’Ordre, Eques a Latomia Universa. Il fut initié en 1951 par La Clémente Amitié (GODF), puis rejoignit en 1964 un groupe de loges qui avaient quitté la GLNF en 1958. Le 26 avril 1968, trois loges se fédéraient sous son impulsion pour constituer la Loge Nationale Française.

En 1970, René Guilly fonda la revue Renaissance Traditionnelle. Les quatre-vingt-dix volumes d’en tout quelque 7.000 pages qui furent publiés sous sa seule direction avant sa mort survenue le 11 juin 1992, portaient en quatrième de couverture le texte suivant :

Renaissance Traditionnelle est une revue sans aucune attache obédientielle. Elle n’a qu’un seul but : susciter et publier des études, apporter des documents qui fassent mieux comprendre et mieux aimer la tradition maçonnique dans sa double dimension: historique et spirituelle.

Parmi ses nombreux travaux, citons plusieurs rituels Ecossais inédits, découverts, transcrits et commentés par lui, ses traductions de la plupart des premières instructions maçonniques de langue anglaise que Knoop, Jones et Hamer avaient transcrites et publiées en 1943, et des articles résumant ses recherches sur l’histoire et les rituels du Rite Écossais Rectifié.

Le premier de la vingtaine d’articles que j’écrivis pour Renaissance Traditionnelle parut dans le numéro 3 en 1970. Notre correspondance avait commencé quelques semaines plus tôt, au mois de juillet de la même année.

 

NOTES



[i]            Les lecteurs intéressés par l’évolution des écoles historiques maçonniques et les jugements émis à leur égard par les représentants de l’école anglaise peuvent consulter le premier chapitre de The Genesis of Freemasonry (1947) par Knoop, Jones et Hamer, et ‘Masonic History and Historians’ par John Hamill (AQC 99. 1-7).

[ii]           Une seconde édition, revue et augmentée par Schletter & Zille, parut en trois volumes entre 1863 et 1867 sous le titre Allgemeines Handbuch der Freimaurerei. La Verein Deutscher Freimaurer publia en 1900-1901 une troisième édition revue et augmentée du Handbuch en deux volumes, dont les principaux collaborateurs furent Begemann, Robert Fischer, Paul Fischer et Reinhold Taute.

[iii]           En 1888, Kloss fut qualifié de “père de la recherche maçonnique” par Speth (AQC. 1: 189).

[iv]           Hamill 1988, ‘Masonic History and Historians’, AQC 99: 4.

[v]            Knoop et Jones 1947, The Genesis of Masonry, p. 16.

[vi]           Alain Bernheim 1988, ‘The fate of some French masonic Archives’ (‘Le destin de certains fonds d’archives maçonniques français’) et ‘Present Location of the Sharp Documents’ (Lieu de conservation actuel des Documents Sharp) in AQC 101, ‘Notes on Early Freemasonry in Bordeaux ’, Appendix 1 & 2.

[vii]          Le choix de ce titre, qui ne correspond pas au contenu du livre, s'explique par le fait que seule la première partie de l'oeuvre de Daruty put être publiée. Voir à ce propos Hommage à Jean-Emile Daruty par Alain Bernheim dans la récente réédition du Daruty aux Editions Télètes (Paris 2002).

[viii]          Voir note 6.

[ix]           Deux ouvrages réédités en un volume aux Editions Slatkine (Genève 1994).

[x]            Pierre Chevallier écrivit ce livre à l’instigation de l’historien Pierre Gaxotte, de l'Académie Française (Chevallier, ‘De l’histoire de l’ordre monastique à l’histoire de l’ordre maçonnique’, communication publiée dans Histoires de France, Histoires de la France, Actes du colloque international de Reims, tenu les 14 et 15 mai 1993. Diffusion Honoré Champion, Paris 1994).

[xi]           Élu en 1947 Fellow (membre actif) de la Philalethes Society, radié en 1955 en raison de son appartenance à une obédience considérée comme irrégulière, Lepage fut réintégré en 1964.